mercredi 17 mars 2010

Naître ou ne pas naître...

Dans un mois et un jour, nous "commémorerons" la disparition de notre petit ange Emilie...

Le hasard des dates a voulu que soit diffusé, la semaine prochaine (mardi 23 mars), le documentaire "Naître ou ne pas naître" sur la terrible épreuve que doivent vivre trop de parents : quel choix faire, quelle décision prendre lorsqu'on attend un enfant "pas comme les autres"...

Ce documentaire exposera un certain nombre de témoignages de couples ayant vécu cette épreuve et ayant "subi" leur IMG au CMCO... C'est l'hôpital où nous avons nous-même vécu notre IMG et notre chemin de croix, c'est là où nous avons été pris en charge et où Emilie est morte avant de naître...

Je mets ci-dessous le synopsis de ce documentaire, et l'un des témoignages résonne incroyablement en moi : "On n'est pas considérée comme maman alors qu'on l'est, que le corps réagit en tant que tel, qu'on a eu un accouchement, une montée de lait, tout ce genre de choses. On est mère, mais on n'a rien, et ça c'est difficile. "

Je me souviens qu'il était (et est toujours d'ailleurs) difficile de faire admettre aux gens que l'on a eu un accouchement "normal", par voie basse... Je me souviens également avoir beaucoup souffert de ma montée de lait, car la sage-femme m'avait dit que je n'en aurais probablement pas compte-tenu du terme de ma grossesse... Et pourtant, dès le lendemain j'ai eu cette montée de lait, douloureuse, terrible, terrible puisque pas de petite bouche de bébé à nourrir, cette souffrance, ce lait, pour rien...

Si cela vous intéresse, si cela ne vous fait "pas peur", si vous avez envie de comprendre un peu ce que nous avons vécu en choisissant l'IMG plutôt que le handicap pour notre fille, si vous avez envie de comprendre ce que nous avons vécu, cette terrible épreuve je vous invite à regarder ce documentaire...

Et même si c'est très dur à lire, vous trouverez en toute fin d'article, pour celles qui n'ont pas suivi mon blog depuis le début, mon témoignage, comment j'ai écrit avec mes mots, avec mon coeur, avec mon âme, mon ressenti, ma douleur, quelques jours après avoir laissé partir mon ange.


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Mardi 23 mars 2010 à 20.35 (Inédit)
Naître ou ne pas naître
Documentaire


Grâce aux formidables progrès de la médecine, il est aujourd'hui possible de déceler bon nombre d'anomalies et de malformations sur le bébé en devenir. Mais, lorsque le diagnostic tombe, faut-il poursuivre la grossesse ou l'interrompre ? A partir de quelle limite le handicap devient-il inacceptable ? Le choix est toujours déchirant, pour les parents en plein désarroi comme pour les médecins, dont le rôle est avant tout de donner la vie...


Paroles de parents…

Judith et Pascal : trisomie 18 au 5e mois de grossesse Judith : Par rapport à mon âge, je savais qu'il y avait de toute façon plus de risques, mais je me disais bien évidemment que ça ne m'arriverait pas à moi. Pascal : Il fallait traverser toute la maternité, c'était interminable, tous ces couloirs, aller à la salle de maternité et croiser tous ces bébés qui venaient de naître… sachant où on allait. Ce qui est difficile, c'est de faire le chemin comme si c'était une vraie naissance.

Sophie et Xavier : anomalie du chromosome 22 détectée au 7e mois sur leur petit Marius Xavier : Je me souviens qu'elle (le médecin) passait beaucoup de temps sur le cœur ; moi, j'étais tout à la joie de le voir et je lui ai dit : « Il fait déjà son joli cœur »… Sophie : Après confirmation de la malformation cardiaque, je savais que, quoi qu'il arrive, il fallait opérer le petit garçon à cœur ouvert pendant sa première année de vie… J'étais quand même positive. On ne pouvait pas imaginer quelque chose de… (pire) à ce moment-là. Mais il y a une réflexion qui nous a aidés. C'était de me dire que je préférais faire un pari sur ma tristesse, ma douleur de maman, que de faire un pari sur ce qui allait être la vie de mon petit garçon.

Nathalie : malformation du cerveau du bébé découverte au 4e mois Quand le médecin m'a dit : « Il y a quelque chose, il faudrait faire une écho plus poussée », à ce moment-là, pour moi — c'est débile quand on y pense —, je me suis dit : « Allez, mon petit bébé, t'as jusqu'à lundi pour effacer la malformation. » Franchement, je pensais que ça pouvait se réparer.

Stéphanie : trisomie 22 diagnostiquée sur Léo au 6e mois On ne voyait rien à l'écho donc je restais optimiste, et puis ça m'est tombé sur la tête. On encaisse tout ça, on sort du cabinet, et là c'est compliqué. C'était la bonne décision pour moi et ma famille, mais une maman qui accepte d'interrompre la vie de son bébé, c'est quand même fou.

Audrey : grossesse à évolution dramatique pour Amélia au cours du 9e mois On n'est pas considérée comme maman alors qu'on l'est, que le corps réagit en tant que tel, qu'on a eu un accouchement, une montée de lait, tout ce genre de choses. On est mère, mais on n'a rien, et ça c'est difficile.


… et de soignants

Dr Romain Favre, obstétricien spécialiste en échographie interventionnelle (Strasbourg/Schiltigheim) — On injecte des barbituriques qui vont endormir le fœtus et après on a des produits qui arrêtent l'activité cardiaque du bébé. C'est vrai que c'est un moment très lourd pour les équipes médicales. — Je viens ici (au carré des anges) parce que je crois que j'ai besoin de me souvenir, d'avoir une pensée pour ces enfants-là. Comme accoucheur, on apprend à donner la vie et là on est dans une médecine tout à fait différente où les couples ont pu faire le choix qui leur paraît le moins difficile, celui d'interrompre la vie de leur enfant.

Pr Israël Nisand, chef du département gynécologie obstétrique (Strasbourg) — La question du « qui décide » est une question extrêmement difficile. Trois personnes morales sont concernées : les parents, les médecins et la société. La société s'est bien gardée de se mêler de cette décision-là. — Comment faut-il que les médecins que nous sommes réagissent par rapport à ce qu'on est obligés d'appeler un projet eugénique, c'est-à-dire un projet de tri des enfants à naître dans notre pays ? C'est tellement rentré dans les mœurs, accepté, normal qu'on fasse la chasse au handicap qu'il n'y a plus personne qui se pose des questions là-dessus. Et c'est au bras effecteur, nous les médecins, de le faire. (…) On est les bourreaux de la société chargés d'évacuer ce que cette société ne souhaite pas avoir comme êtres humains.

Aline Meyer, sage-femme - Quand on apprend ce genre de choses, la réaction normale, c'est : « Pourvu qu'on en finisse le plus vite possible, que je ne voie rien et qu'on tourne la page. » Malheureusement, ça ne se passe pas comme ça.


L'IMG et la loi française
Depuis 1994, la loi sur la bioéthique impose de discuter collectivement de ce qu'on appelle désormais IMG, interruption médicale de grossesse. Obstétriciens, pédiatres et généticiens se réunissent ainsi régulièrement dans les CHU pour étudier chaque cas et accepter ou refuser les demandes des couples. Ces discussions aboutissent à 7 000 IMG par an.

Invité du « Monde en face » :
Carole Gaessler reçoit le Pr Israël Nisand, chef du département de gynécologie obstétrique au CHU de Strasbourg, directeur du Centre médico-chirurgical et obstétrical de Strasbourg.

Documentaire Durée 52'
Auteur-réalisateur Éric Lemasson Production France Télévisions / Les Productions du Moment Année 2010

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Mon témoignage :

C’est une semaine après mon entrée à l’hôpital et 6 jours après la mort et la naissance d’Emilie, que je trouve la force et le courage de faire le récit de cette journée du 18 avril 2006.
Philippe et moi nous sommes donc rendus au CMCO lundi 17 avril à 17 h 15. Nous avons été très bien accueillis et installés dans une chambre individuelle, avec deux lits. Philippe pouvait passer les deux nuits prévues avec moi. C’était très réconfortant de savoir qu’il ne me quitterait pas, que je ne serai pas seule.

La nuit a été extrêmement éprouvante. Je n’avais pas voulu prendre de calmant ou de somnifère, j’ai seulement demandé à avoir quelque chose à base de plantes pour me détendre un peu, mais je n’ai ressenti aucun effet. Nous étions au service Gynécologie, juste sous la maternité. Toute la nuit j’ai entendu les pleurs des bébés à l’étage au-dessus et je me disais « Mais pourquoi les laisse-t-on pleurer ? Il faut les cajoler, leur donner à manger ». Cela m’attristait d’entendre ces nourrissons pleurer. Et puis j’ai été envahie par une drôle de sensation. Toute la nuit, j’ai pensé que j’attendais mon exécution, je vivais ma dernière nuit de condamnée, ma dernière nuit avec ma petite fille en mon sein. J’ai eu beau me concentrer de toutes mes forces, essayer de la stimuler, Emilie n’est pas revenue me faire un petit signe. J’en ai été profondément triste, j’aurai tant aimé qu’elle me dise au revoir, qu’elle vienne une dernière fois me donner un petit coup dans le ventre, c’est quelque chose que je regretterai toute ma vie.

J’avais donc l’impression de vivre ma dernière nuit de vie, je pense que cette sensation est très symbolique, en fait je vivais ma dernière nuit de maman. J’avais l’impression d’être dans une prison, et le lendemain matin, on allait m’emmener à l’échafaud. Toute la nuit j’ai également eu la même chanson en tête : « un de toi », ce refrain m’a hanté à chaque seconde : « il viendra, il viendra tout droit du cœur des étoiles, se poser sur mon bras, il viendra et j’aurai mal, il aura tout ce qu’en rêve j’avais entrevu, qu’avant lui je n’avais su, il aura tout ce qui fait nous... ».

Le lendemain matin, mardi 18 avril, nous nous sommes levés très tôt, vers 6 heures 15 je crois. Je devais prendre une douche désinfectante. J’ai du me savonner avec un gel à la Bétadyne, je détestais l’odeur de ce produit. Pour moi, c’était déjà l’odeur de la mort. Je suis ensuite retournée dans la chambre. Philippe et moi avons préparé toutes les petites affaires : les médailles, les petits bodys, le doudou. Puis l’infirmière est venue me chercher à 7 heures.

La sensation de « mise à mort » que j’avais ressentie toute la nuit prenait désormais tout son sens. En effet, j’ai du traverser le long couloir du service Gynécologie, puis monter l’escalier qui menait à la maternité, entre les bras de l’infirmière d’un côté et de Philippe de l’autre. Chacun d’eux me soutenait, et moi je pleurais. Je me souviendrai longtemps de cette image du couloir à traverser, et de ce sentiment que l’on m’emmenait à la chaise électrique.

C’est une sage-femme, Catherine, qui nous accueilli à la maternité. Catherine nous a accompagnés toute cette journée. Elle a été formidable de gentillesse et de douceur, de compréhension et d’affection. Elle nous a installés dans une « salle de naissance », en nous expliquant que cette salle était la plus éloignée des autres salles, pour nous éviter d’entendre les femmes qui accouchaient et les pleurs des bébés qui naissaient dans les autres salles.

J’ai revêtu une chemise de l’hôpital puis me suis allongée sur la table. Catherine m’a donné deux comprimés à avaler et en a mis un autre à l’entrée de mon col de l’utérus. Les premiers effets des contractions devaient se manifester sous une demi-heure. Il était 7 h 15.

Au bout d’un quart d’heure seulement, j’ai commencé à ressentir les premières contractions, d’abord supportables, puis affreusement douloureuses. Je tremblais de tout mon corps, je pleurais. Je pense que c’est à cet instant que mon petit trésor a du rendre son âme aux étoiles, car ces contractions me semblaient assez violentes pour qu’elle ne puisse les supporter. Philippe, qui était assis à mes côtés semblait désemparé de me voir souffrir ainsi. Lorsque Catherine est revenue me voir, je lui ai dit que j’avais trop mal. Cette douleur physique m’était insupportable. Je l’aurais volontiers acceptée si je savais qu’au bout, j’aurai eu ma petite fille bien vivante. Mais souffrir dans ces conditions m’était intolérable. Elle a donc fait venir l’anesthésiste pour la préparation de la péridurale.

En attendant, Catherine m’a donné de quoi calmer la douleur. L’anesthésiste est venu me poser la péridurale à 9 h, le calmant commençait à faire de l’effet. Cet anesthésiste a été formidable lui aussi, très doux, très humain, très compréhensif. Il comprenait bien que dans ma situation, souffrir était atroce. Il fallait au plus vite me soulager pour que je retrouve un tant soit peu de sérénité. Il a malgré tout eu du mal à me piquer. J’étais si triste, j’avais si peur, que je tremblais de partout. Et malgré la petite anesthésie faite à l’emplacement de la péridurale, je ressentais une certaine douleur lorsqu’il cherchait le bon endroit pour poser le cathéter. Ce fut assez long, il a du s’y prendre à plusieurs reprises, il a du me laisser quelques minutes de répit pour récupérer, me calmer, et me sentir prête à nouveau pour qu’il pique. Enfin ce fut fini, et le soulagement fut immédiat. Je me sentais tout à coup très détendue et sereine.

C’était curieux, alors que j’étais effondrée, tremblante, en larmes, la peur au ventre, je me suis sentie tout à coup très zen. Normal, en plus de l’anesthésiant, j’étais sous morphine. Catherine m’a ensuite posé la perfusion, les électrodes pour contrôler mon rythme cardiaque, et le tensiomètre pour contrôler ma tension artérielle. Elle nous a fait à chacun une prise de sang pour faire analyser nos caryotypes (notre carte chromosomique), afin de voir si l’un de nous a une anomalie, ce qui expliquerait la trisomie d’Emilie. Il y a deux solutions : soit l’un de nous est porteur d’une anomalie, et dans ce cas, ce serait terrible pour nous pour envisager une grossesse future, soit aucun de nous ne l’est, et la trisomie d’Emilie est ce qu’on appelle « libre », donc un accident, ce qui nous permettrait d’envisager une future grossesse normale. L’analyse de nos caryotypes doit prendre deux semaines. Nous sommes depuis, dans l’angoisse de ces résultats. Nous sommes parfois confiants, mais aussi parfois fatalistes et pessimistes, en se disant qu’avec toute la malchance qui nous tombe dessus, il n’y aurait rien d’étonnant à ce que le destin nous poursuive.

A 10 h 30, j’ai repris 3 comprimés. Mais je ne sentais plus les contractions.

La journée semblait s’étirer en longueur. La soif a commencé à me tenailler. Philippe, toujours présent à mes côtés me réconfortait. Je n’oublierai jamais combien son soutien, son amour infini, sa tendresse, m’ont aidée à traverser cette journée. Il ne m’a pas pratiquement pas quittée, me réconfortant, me disant combien il m’aimait. C’est un mari formidable, rempli d’amour. J’ai beaucoup de chance de l’avoir. Je suis tellement triste pour lui que les événements se déroulent ainsi, tellement triste de ne pouvoir lui donner un enfant...

Le psychologue est venu nous voir. Nous avons parlé. Je me souvient lui avoir dit combien je me sentais calme et sereine, et que je trouvais ceci étonnant. Avec le recul, j’ai compris pourquoi j’étais aussi détendue, voire heureuse. J’allais accoucher de ma petite fille. A ce moment-là, j’avais complètement occulté le fait qu’elle allait mourir ou qu’elle était déjà morte. J’allais tout simplement accoucher de mon bébé, le voir, le prendre dans mes bras, l’embrasser, et j’attendais ce moment avec impatience. Je ne pensais plus du tout à la mort, mais à la vie. J’allais enfin rencontrer ce petit être qui grandissait en moi. Je me souviens lui avoir dit que j’étais soulagée que cela se termine bientôt, soulagée comme une délivrance que l’on attend. Et puis je lui ai reparlé de l’avenir, nous allions bientôt avoir un nouveau bébé, je lui demandais s’il fallait attendre un peu ou si l’on pouvait reprendre les essais tout de suite. Je me suis dit, « donnons-nous un peu de temps, cela nous fera du bien, il faudra aller mieux... ».

Durant l’après-midi, Philippe et moi avons papoté de choses et d’autres, comme si nous attendions un heureux événement. Nous faisions des projets d’avenir, tout allait bien se passer pour nous dorénavant, tout serait beau, le malheur serait derrière nous, plus rien ne pourrait nous toucher. Nous avons fait des projets de vacances, nous avons décidé de nous rendre à Saint-Malo dans quelques semaines. Nous nous sommes réjouis à l’idée de revoir Maman, de manger des crêpes et des galettes ! Nous avons pensé passer quelques week-ends hors de Strasbourg pour « changer d’air », nous avons ri, j’avais faim et soif, et nous avons parlé de restaurants, nous nous sommes dit que dorénavant, nous allions profiter de la vie, sortir un peu plus... Lorsque j’y repense, et que je vois à quel point aujourd’hui nous sommes éteints, fatigués, tristes à en mourir, j’ai du mal à réaliser que nous étions si biens et si gais. Mais pour moi, c’est comme je l’ai expliqué plus haut, j’étais dans le feu de l’action de mon accouchement imminent, j’étais sous morphine...


Nous nous sommes également aperçus combien cet événement nous rapprochait. Combien notre amour était fort, beaucoup plus fort qu’avant. Désormais, nous avancerions tous les deux, main dans la main, rien ne pourrait entraver notre amour et ce qui nous lie au plus profond de nous-mêmes. Dans l’épreuve, il est des certitudes qui ne trompent pas : plus rien ne serait comme avant, mais plus rien ne serait aussi fort que notre amour.

A 13 h 30, il m’a fallu reprendre 3 comprimés.
Nous papotions toujours, parfois je m’assoupissais. Catherine passait régulièrement voir si tout allait bien. Mon col mettait du temps à se dilater.

A 15 h, Catherine a percé la poche des eaux. Ce fut bizarre pour moi, car très symbolique. Cette poche des eaux qui m’a fait si souvent m’inquiéter : allait-elle se fissurer, se percer ? Pourvu que la poche des eaux tienne longtemps, qu’il y ait suffisamment de liquide amniotique pour permettre à mon tout petit de vivre. Et bien cette poche des eaux n’était plus. J’ai pris conscience que c’était le début de la fin. L’accouchement serait pour bientôt. Mon bébé serait là, mais mon bébé serait mort. Et puis je me suis dit que cette poche des eaux était ce qui lui permettait de respirer. Et si jamais elle était encore vivante ? Elle allait étouffer ? J’ai eu peur qu’elle souffre. On m’a dit qu’il n’y avait pas de souffrance fœtale à ce stade de la grossesse. Mais qu’est-ce qui me le prouve ? Je ne saurai jamais si mon bébé, mon petit ange, ma petite Emilie a souffert ou non, et c’est terrible pour une maman.

Vers 16 h 15, l’anesthésiste est venu remplacer la seringue qui était vide. J’en ai profité pour lui dire que je commençais à ressentir des douleurs du côté droit. En revanche, ma jambe gauche était pratiquement paralysée, je n’arrivais plus à la contrôler. Il m’a donc remis une dose et m’a conseillé de me coucher sur le côté droit pour que le produit passe bien là où j’avais mal. Je devais rester une demi-heure dans cette position.

Entre 16 h 45 et 17h, je ne me souviens plus très bien, je me suis remise sur le dos. A ce moment, j’ai eu un léger malaise, une chute de tension, la tête qui tournait, je me suis sentie tout à coup très faible. Je me suis dit que c’était parce que je venais de bouger en me remettant sur le dos. Je n’ai pas appelé Catherine en me disant que ça allait passer. Le temps commençait à être long, j’avais de plus en plus soif, et commençais à me sentir très fatiguée.

A 17 h 20, Catherine est venue voir comment j’allais. Je lui ai dit que j’avais fait un petit malaise. Elle m’a grondée, me disant que j’aurais du l’appeler. Je lui ai dit que je ne voulais pas la déranger pour si peu. Elle a soulevé le drap qui me recouvrait, et j’ai vu une drôle d’expression sur son visage. Philippe aussi a semblé pâlir. Catherine a dit « Il y a beaucoup de sang, mais ce n’est rien ». J’ai eu un peu peur, et je me suis tout à coup dit que ma petite fille avait dû naître. J’ai demandé à Philippe : « Elle est là ? », il m’a dit « oui »...

J’ai pensé qu’elle avait du naître lorsque j’ai fait mon petit malaise, cette chute de tension et la tête qui tourne étaient certainement du à tout ce sang que j’ai perdu en accouchant. Mais c’est bizarre, j’aurai du sentir quelque chose. Catherine m’a dit qu’au moment de l’expulsion je ressentirai l’envie de pousser. Mais non, rien.
Je m’en suis beaucoup voulu de n’avoir pas senti ma toute petite fille arriver sur terre. Je n’ai rien senti en la mettant au monde alors qu’elle avait déjà rejoint les anges. Je me suis demandée, peut-être avait-elle encore un souffle de vie en arrivant ? Un souffle de vie que j’aurai pu voir si je l’avais sentie arriver ? Je ne le saurai jamais. Je m’en voulais, c’est tout.

Emilie est venue au monde à tous petits pas de velours, sans faire de bruit, tout discrètement, comme si elle ne voulait pas déranger son papa et sa maman, comme pour nous éviter du tracas. « Maman, Papa, ne vous occupez pas de moi, faites comme si je n’étais pas là, je suis arrivée, mais continuez à discuter, à parler de votre avenir, de vos projets, je m’en vais tout doucement, sur la pointe des pieds » C’est vraiment la sensation que nous avons eue tous les deux : Emilie s’en est venue sur terre sans bruit pour ne pas nous déranger, comme si elle pensait qu’elle avait fait assez de mal. Comment décrire cette sensation, parler de cela, sans pleurer ?

Un médecin est venu me faire une échographie pour voir s’il restait quelque chose dans l’utérus. Non, tout était normal. Mais quelle horrible sensation ce fut de voir mon utérus vide sur l’écran de l’échographe. Quelques jours auparavant, je voyais encore ma petite puce faire des petits bonds dans mon ventre, et là, plus rien, le vide, le vide dans toute son horreur.

Catherine est revenue peu de temps après Emilie dans ses bras, elle nous a demandé si on voulait la voir. Philippe l’avait déjà vue... J’ai d’abord eu peur qu’il n’ait été choqué, mais il m’a dit que non. J’ai accepté de prendre Emilie dans mes bras. Elle était enveloppée dans une petite couverture. Catherine l’a posée sur moi. J’avais d’abord peur de poser mon regard sur elle. Puis je l’ai fait et là, « oh mon Dieu, ma petite fille, ma petite poupée, mon trésor »...

Je l’ai trouvée si jolie. Elle était parfaitement finie. Son petit visage était celui d’un ange. C’était notre petite fille, et elle était pour nous la plus belle du monde.

Philippe trouvait qu’elle avait l’air sereine, elle semblait dormir paisiblement, elle était dans son monde, dans son paradis. Elle avait déjà rejoint son Papy. A l’heure qu’il était, il la tenait lui aussi dans ses bras, il la cajolait, il lui disait « regarde comme tes parents t’aiment... ». Moi j’ai trouvé qu’elle avait l’air triste. J’ai trouvé qu’elle semblait me dire « Maman, pourquoi je ne pourrai pas vivre auprès de vous, vous avez tellement d’amour à me donner... ». Aujourd’hui encore, lorsque je regarde certaines photos d’elle, je revois cet air triste.

Catherine m’a demandé si je voulais la voir nue. Oui bien sûr. Elle a repoussé la petite couverture, et nous avons pu voir son petit corps tout bien formé, ses bras, ses mains, ses jambes, ses pieds. Elle était parfaite. Je me suis dit « Quel dommage ce qui nous arrive, tout était parfait, elle est belle, bien formée, elle semble physiquement en pleine forme ». Je me suis dit que je m’étais bien occupée d’elle durant ces quelques mois, je l’avais bien nourrie, elle me semblait musclée, en parfaite santé. J’ai ressenti une extrême tristesse à l’idée de me dire que s’il n’y avait pas eu cette trisomie et cette malformation cardiaque, tout aurait été parfait. Tout était parfait.

Nous sommes restés un long moment avec Emilie. Nous avons pris des photos, nous lui avons fait des câlins, des bisous, nous l’avons carressée, nous lui avons parlé. Je l’ai bercée contre moi, je ne me lassais pas de l’admirer, de la toucher. Nous lui avons dit combien nous l’avions aimée, combien nous l’aimions, et combien nous l’aimerions encore toute notre vie. Nous lui avons dit que nous ne l’oublierions jamais, nous lui avons dit tout le bien qu’elle nous avait fait, tout ce qu’elle nous avait apporté, tout le bonheur qu’elle nous avait procuré et combien grâce à elle, notre vie serait désormais différente.

Puis Catherine est revenue pour l’habiller, nous lui avons mis sa petite médaille. C’était bon d’être avec elle, notre petite fille adorée. J’avais l’impression à ce moment-là que plus rien ne pouvait m’arriver, que je ne la quitterais plus jamais, que nous allions rester toujours ensemble. Encore à ce moment-là, j’étais comme si elle était vivante. Comme si nous allions rentrer à la maison, et que nous serions heureux avec notre petite fille.

L’aumônière est venue à 19 h, nous avions demandé, malgré nos idées sur la religion, à ce qu’Emilie soit baptisée. J’avais perdu la foi lorsque papa est décédé. Je l’ai retrouvée quand j’ai su que j’allais devoir me séparer d’Emilie, quelques jours auparavant. Et puis ce mystère des dates ne me quitte pas. Emilie aurait dû naître le même jour que papa, et elle s’en est allée le même jour que papa, 7 ans après. Quelle étrange coïncidence. Après une nuit de réflexion la semaine passée, j’ai donc décidé que nous baptiserions Emilie. Philippe était d’accord.

Ce fut un moment très émouvant, nous avons discuté avec l’aumônière. J’avais en moi la douleur du geste que nous avons fait, la décision que nous avons du prendre de choisir la mort d’Emilie. Je ne peux m’empêcher de penser que vouloir la mort de son enfant est quelque chose de punissable, de jugeable. Mais l’aumônière a su nous réconforter et nous conforter dans l’idée que non, ce que nous avions fait n’était pas malsain et condamnable. Ce qui était condamnable c’était de devoir supporter la souffrance d’un enfant, c’était de devoir, alors qu’on l’attend depuis des années, offrir des ailes à son bébé parce que l’injustice a voulu qu’il soit « anormal ». Nous avons donc prié ensemble, pour notre petite Emilie et pour mon papa. Nous avons confié notre petite fille au Seigneur et à son Papy. Ils allaient désormais veiller sur elle et s’occuper d’elle comme nous aurions voulu le faire nous.

Nous sommes encore restés un moment avec Emilie, puis je suis redescendue dans ma chambre à 21 h. La nuit a encore été agitée, mais j’ai pu dormir un peu tant j’étais épuisée par la journée. J’ai rêvé d’Emilie, j’avais hâte d’être au lendemain pour pouvoir la revoir.

Le lendemain matin, dès que nous avons pu, nous sommes montés à la maternité pour la revoir. Ce fut de nouveau un grand moment d’émotion. Je me suis assise avec Emilie dans mes bras et je lui ai chanté des berceuses, cette petite berceuse que j’aimais tant et que je lui chantais déjà quand elle était dans mon ventre : « Le soleil, endormi, déjà tombe belle nuit,
Et la lune douce luit, endors-toi mon tout petit,
Tous les anges dans le ciel, veilleront ton sommeil,
Des rêves au goût de miel entreront dans un beau soleil ».

Je ne me lassais pas de la bercer, de caresser sa si petite main, d’embrasser son front si doux, de regarder ses lèvres... J’aurais voulu que ce moment ne s’arrête jamais, j’aurais voulu suspendre le temps.

Catherine et Cécile, les sages-femmes, nous ont proposé de faire des empreintes de sa petite main et de son petit pied. Cette proposition et cette idée nous ont beaucoup émus et nous avons accepté avec joie. Quel plus beau souvenir que celui-ci ?

Puis nous avons du nous en aller, quitter cet hôpital, la laisser seule ici. Ce fut un déchirement énorme. Nous allions rentrer seuls à la maison, sans notre petit ange rendu au ciel. C’est la mort dans l’âme que nous sommes rentrés, il faisait soleil, il faisait bon, les massifs fleurissaient de partout, les arbres chantaient le printemps, et nous, nous devions laisser notre plus belle fleur se fâner...

Je ne m’étendrai pas sur la douleur et le chagrin, le désemparement, l’impuissance, le vide, le manque qui nous habitent depuis 6 jours. Nous avons hésité à retourner la voir, on nous a dit que nous pouvions le faire quand nous voulions. Nous étions partagés entre l’envie irrépressible d’y aller, et l’envie de conserver d’elle se doux souvenir que nous venions de vivre. Retourner la voir serait repousser les limites de notre chagrin, serait retarder le dur et long travail de deuil que nous avons à faire. Nous avons pensé que la revoir serait beaucoup plus difficile pour nous, sachant que dès le lendemain de sa naissance, elle commençait à se friper, elle était toute froide. Nous avons donc pris notre courage à deux mains, et avons décidé de conserver d’elle cette dernière et belle image que nous avions.

Samedi matin, nous avons du retourner à la maternité car j’ai fait une montée de lait et que je n’avais pas de médicament pour ça, c’était très douloureux. Philippe et moi avons ressenti le même bien-être en arrivant à la maternité. Nous nous sommes sentis envahis par un sentiment d’apaisement. Moi j’ai ressenti que ma toute petite fille, mon petit trésor, était tout près de nous, j’ai ressenti son âme près de moi. C’était très bon. Alentour, tous les magnolias étaient en fleur... Quand nous avons quitté l’hôpital et que nous nous en sommes éloignés, ce doux sentiment de bien-être s’en est allé, et notre tristesse est revenue.

Je voudrais dire que pendant toute la journée du mardi 18 avril, j’ai gardé tout contre moi, la petite poupée que le parrain et la marraine d’Emilie lui ont offerte. Je l’ai gardée contre mon corps pour qu’elle s’imprègne de moi, et nous l’avons ensuite donnée à Emilie. Cette petite poupée ne quittera plus Emilie. Depuis, je porte également la même médaille qu’Emilie, gravée d’un petit ange. Emilie est partie avec la sienne, je garde la mienne autour du cou.

J’ai une tendre pensée pour les sages-femmes qui nous ont accompagnés durant cette épreuve. Leur gentillesse, leur soutien, leurs précieux conseils, nous ont énormément aidés et elles nous ont porté à bout de bras. Je n’oublierai jamais Catherine et Cécile, deux anges qui ont permis qu’Emilie s’envole dans les meilleures conditions.

Une pensée aussi à tous ceux, famille et amis, proches et moins proches, qui auront eu une petite pensée pour nous et notre petite puce, durant cette journée.

Enfin, je voudrais dire à mon mari Philippe, combien je l’aime, et combien il est bon, généreux, prévoyant, aimant, doux et compréhensif. Lui dire combien son amour me réchauffe le cœur, combien il aurait fait un bon père et combien sa petite fille doit être fière de lui là où elle est. Chéri, n’oublie jamais ça : tu es l’homme de ma vie, je n’oublierai jamais tout ce que tu as fait pour moi, tout ce que tu fais encore pour moi, et je prie pour que le chemin qui est devant nous soit parsemé de fleurs, de bonheur, de tendresse et de jours heureux. Notre petit ange veille sur nous à présent. Je t’aime.

Emilie sera incinérée le 24 avril 2006. Ses cendres seront dispersées au cimetière Saint-Urbain, le 25 avril 2006

11 commentaires:

Véro, Franck et Princesse Grumeau a dit…

Il est difficile de faire un commentaire à ce bouleversant témoignage.
La seul chose à dire: cela m'a beaucoup touché.

Biz

pyxounette a dit…

courage à vous 2
en ce qui nous concerne évidemment vous êtes des parents à part entière, et même plus que les autres, car çà ne doit pas être évident du tout de faire le choix douloureux que vous avez fait, vous avez donné la priorité à votre petite princesse, plutôt qu'a votre propre désir de bébé, je trouve çà admirable.
gros bisous à vous 3
on n'oublie pas Emilie, membre à part entière de notre famille, et partie beaucoup trop tôt

carole

Lacandide a dit…

Je suis désolée ... je ne pourrais pas regarder ce documentaire.
Relire ton récit me fait ruisseler les larmes.
C'est trop dur.
je t'embrasse très fort. Je sais combien ça doit être dur pour toi cette période, parce qu'à l'époque tu avais cet espoir quasi certain de refaire très vite une grossesse.
... Je suis actuellement un peu flippée de ma grossesse, parce que ma petite fille est en bas de la courbe, la dernière fois l'obstétricien me disait "Si vous ne voyez pas votre ventre grossir, revenez me voir". Une phrase qui n'a l'air de rien, mais qui me fait cogiter depuis. Je pense/sais que tout va bien, mais je sais aussi que tant qu'on a pas son bébé dans ses bras en vie, tout peut arriver.
Re, je t'embrasse fort.

christel a dit…

je suis en larme meme si je connaissais deja votre histoire
quand on a vécu cela on a été maman tu as été maman et tu le sera à vie
christel

Sonia a dit…

je n'ai pas le courage de le relire une nouvelle fois....biz

Myriam Melody1978 a dit…

Véro, ma belle,
c'est moi Myriam, la Mimi du forum DOCTI alias Melody1978. Je pense que tu te souviens de moi ... moi je ne t'oublie pas.

Ca faisait longtemps que je n'étais pas passée sur ton blog et puis tout à l'heure je me suis dit "tiens il serait temps de prendre des nouvelles !" et là je tombe sur ton article où tu parle du docu qui passera le 23 mars. Jspr ne pas le manquer ! Je ne sais pas si tu sais qu'une mamange que nous connaissons (flooliv) a fait parti de la réalisation du documentaire en témoignant.

Je relis ton histoire que je connaissais déjà, et les larmes montent et coulent sur mes joues.
En tant que mamange, lire ton récit me renvoi inévitablement au mien. Malgré la différence de nos histoires, le vécu de nos anges, leur maladie et leur handicap, je me suis reconnu dans tout ce que tu écris, les ressentis, la peur, les larmes, le manque, LE VIDE.
Ca va faire 4 ans en juin que mes anges sont partis, mais ils sont tjrs présents, proches, ici, avec moi.

Véro sache que je t'embrasse fort petite bazilette de l'année 2006 et je pense fort à toi
Pleins de bisous
mimi

elodiejeff a dit…

relire tout ça des années après est toujours très difficile.

Vous avez été courageux, bien plus que j'aurais pu l'ètre. Comme lacandide je pense que jamais rien n'est gagné, mais jusqu'à la fin...

pas facile de vivre sereinement

bisous

Sylvie a dit…

Bonjour,
Je passe de temps en temps, en provenance du blog de Sonia. Je n'ai pas connu cette souffrance mais une de mes amies a perdu sa petite fille atteinte de trisomie 18 au début de l'année dernière. Grâce à votre témoignage, je comprends ce qu'ils ont traversé avec son mari.
Merci
Sylvie (en procédure d'adoption en Colombie)

Senga74 a dit…

Douce pensée en cette triste journée, pour votre ange Emilie, et pour vous deux bien sûr.
Bises.

Anonyme a dit…

tendres pensées à vous deux, pour votre courage et votre force à deux.
d'où elle est votre Emilie doit être drôlement fière de ses parents.
lagrande

Anonyme a dit…

Je connais trop bien votre histoire pour la vivre en ce moment avec une amie. Je trouve que vous etes tres courageux, pour vivre ses moments si difficiles. Je vous souhaite une tres heureuse vie et beaucoup de bonheur à venir. L'adoption est semée d'obstacles mais au bout ce n'est que du bonheur. (nous avons ramener notre enfant de russie il y a maintenant 1an et demi ) amicalement